par Vivre Avec Depeche Mode » 13 Avr 2009, 10:14
Bonjour à tous, je n’ouvre pas de nouveau sujet mais vous propose ce matin comme un article, une chronique sur Hourglass, objet qui retient peut-être moins notre attention à quelques jours de la sortie de Sounds of The Universe. Raison de plus pour y revenir. C’est un texte écrit il y a quelques temps, retouchez pour ce postage. Merci de votre lecture patiente et de vos réponses en vue de discuter.
Aux modérateurs : je n'ai pas trouvé d'entrée équivalente dans "they talk and they talk" et n'ai pas jugé nécessaire de créér une nouvelle entrée.
« Le style, c’est l’homme », cette phrase un peu passe partout, discutable, mais qui séduit beaucoup les esprits parce qu’elle évite de réfléchir trop longtemps sur la notion de style, peut toutefois convenir au dernier album de Dave Gahan, Hourglass. Il est rare de rencontrer production aussi libre et pour laquelle l’auteur n’a pas cherché forcément à plaire coûte que coûte. Cette recherche de liberté ( encore un mot banalisé dans le vocabulaire de la critique musicale mais dont nous tâcherons de justifier l’usage ici ) se fait par le refus de la fioriture, du décorum harmonique, de la structure intime et complexe de morceaux. Que reste t-il alors ? Il reste justement, l’homme, le chant direct, avec autour des instruments qui viennent se greffer et ne sortent jamais de leur rôle accompagnateur. En témoigne l’instrumentation dépouillée de Down qui clôt l’album et qui est accord avec la perspective naïve mais assumée musicalement de cueillir le fruit. Dans l’ensemble le son est beaucoup plus uniforme, opaque, moins charnu et sanguin que dans Paper Monsters. Je ne sais si je vais trop loin dans l’interprétation, mais l’on sent dans cet affinement comme un désir inconscient de rafraîchissement, au sens du jeunisme. Le titre « Hourglass », « sablier », dénote de manière réaliste le temps qui passe et sous entend la mort de l’artiste.
L’espace, l’image acoustique, change aussi. Il est plus restreint, virtuel, à l’image du petit studio new yorkais et de ses ambiances machinales dont la variabilité dépend de la folie douce d’ Andrew Phillpott. Au sujet de la différence des deux albums ( point à nouveau capital pour apprécier chaque album dans sa singularité ), Dave Gahan précise que sa méthode de travail n’a pas suivi cette fois le chemin traditionnel de l’enregistrement studio. Il ne s’est pas agi, comme pour Depeche Mode, de s’arrêter des heures durant sur la fabrication d’un son ( ce qui ensuite est pourtant garant d’un grand bonheur ! ), de faire se suivre selon un ordre préétabli l’enregistrement des pistes ou bien encore de passer par le moment de la « démo ». Il ne s’agit pas de contre carrer la spontanéité du temps présent derrière un projet esthétique patient et ambitieux qui considéré dans l’instant, dans la journée, dans la matinée, après la pause, serait contre nature. Il ne s’agit pas, en quelque sorte, de faire « Œuvre » comme dans Violator. Dave Gahan a voulu se libérer de ces contraintes ( pourtant toujours récompensées dans le produit final ) pour laisser place à l’invention, l’intuition et soumettre la machine à ces élans proprement humains, instantanés. Petite nuance, nous ne soutenons pas que le travail de Depeche Mode met totalement de côté cet aspect. Simplement, ici, il est indéniable que la volonté de simplicité et de direction prévaut. Cet élan que nous évoquons permet d’accueillir la tradition du blues dans 21 days. Il permet de laisser la trace de l’accident technique, ou du hasard, comme ce son de guitare très âpre et qui ponctue de manière lancinante le morceau, comme une butée. Encore une fois, le mot « accident », vous le savez comme moi, a un sens tout à fait relatif dans la production en studio, car sa provocation prend sa source entre le conscient et l’inconscient et la réaction face à lui est question d’expérience et de maturité. Celles-ci ont dû, par le passé, se plier à des formes plus convenues de création.
Aux premières écoutes, qui pour la musique pop sont souvent mauvaises conseillères, la relative déception habitait mon esprit comme c’était le cas à la découverte de Playing the Angel. Mais pour des raisons opposées. Avec ce dernier j’avais l’impression d’un trop plein et pour Hourglass celle d’un manque, d’un « pas assez ». Car c’est précisément cette mise à nu, qui est en deçà de l’explicitement biographique conditionnant les trois titres signés Gahan dans Playing the Angel, qui peut déranger dans un premier temps. On voit bien en lisant les textes que l’aspect double de la personnalité ( le raisonnable et l’animal, les tiraillements dans Use You ) sert encore de motif, mais la peinture de ce motif est beaucoup plus diffuse, elle opère par petites touches. Si bien que nous ne sommes plus dans l’émotionnel direct comme dans les premières mesures de Nothing’s Impossible.
C’est la raison pour laquelle il faut laisser reposer l’album quelques semaines après le moment de déception possible, moment presque nécessaire. Cet homme refuse maintenant de se raconter des histoires, il rassemble des restes d’émotion ici ou là et se met face à nous. C’est comme une musique du quotidien, et c’est ce qu’au début nous refoulons sous la forme hâtive du blâme.
Seule la redécouverte quelques temps après le rejet me permet d’apprécier à sa juste valeur l’album et de soulever ce lourd préjugé qui est le mien et dont j’ai peur qu’il n’habite encore de nombreux auditeurs. Seule la redécouverte me permet d’écrire ces lignes sans avoir à réécouter le disque car il n’a pas besoin de passer par une profonde « herméneutique » pour se justifier. La très belle introduction kaléidoscopique de Saw Something nous envoie finalement sur une fausse piste, celle de la musique intime, profonde, en forme de cocon harmonique – encore que dans cet halo sonore l’assise harmonique n’est pas complète et préfigure la sécheresse de la suite. Le reste du morceau explore la coque mais rien de plus, on ne creuse pas davantage le sens selon les principes goriens de la progression d’un morceau. Beaucoup pensent à ce sujet que la voix est beaucoup moins valorisée qu’en compagnie de Martin Gore ; je n’irai pas jusque là. A titre d’objection peut-être vague, je remettrai simplement cette idée d’homme, singulier, en avant. Dave Gahan est parvenu à un degré d’intimité irréductible avec sa voix qui rend le jugement extérieur très délicat, beaucoup plus que pour un chanteur d’opéra qui ne serait pas à l’origine de la partition.
Pour beaucoup d’entre nous les premières écoutes étaient contemporaines des clips émiettés sur la toile qui montraient des moments de studio. Ces moments ne reflétaient quasiment pas le travail précis sur la musique mais se résumaient en des gamineries qui étaient franchement agaçantes et ne donnaient pas envie d’approfondir. Un jeu idiot avec une web cam dont on attendait bêtement chaque nouveau épisode, une mise en scène plate de trois types parfaitement insignifiants, la manipulation marketing dans ce qu’elle a de plus aberrant et d’écœurant.
Il y avait aussi dans cette promotion de la provocation. Après coup, ces images sont finalement incorporables dans le projet artistique, non pour blâmer le disque, mais pour comprendre que le sérieux de la démarche artistique est devenu relatif. Ces images de petits délires, comme pour nous prévenir de ne pas nous attendre à l’album du siècle mais simplement accepter la dimension instantanée, spontanée de la production, garantie par le dur apprentissage des expériences passées et une liberté par rapport aux techniques. En ce sens il est peut-être possible de moins se prendre au sérieux. Mais il y a certainement des moyens plus subtils pour mettre en haleine le public, tout en gardant cet aspect récréatif.
Dans l’artifice de l’interview promotionnel, Gahan est beaucoup plus intéressant, il sait très bien se vendre. Il nous retrace une démarche et des intentions que nous devinions déjà à l’écoute. Personnellement, j’irai jusqu’à ressentir plus d’émotion au moment où Gahan filmé par Corbijn en octobre 2001 dans les sous-sols de Bercy sortait « I’m not a religious man but I’m a spiritual man » que dans toute la chanson Miracles qui développe la même idée. Il arrive que le spectacle soit du côté de la seule exposition des principes, dans une interview où la personne se livre, plutôt que dans leur illustration à travers une chanson. A mon sens Miracles touche aux limites des partis pris minimalistes choisis par Gahan dans cet album.
Hourglass laisse une impression de vide, de froid, d’incomplétude qui laisse une place à l’imaginaire et nous encourage encore plus à recouvrir l’œuvre d’une autre couche, celle du sens et de l’histoire, enfin de continuer à satisfaire ce curieux désir d’écrire sur la musique, ce qui ne peut qu’enrichir les prochaines écoutes, tant pour ceux qui écrivent que pour ceux qui lisent. Ceux qui ont des oreilles entendent.